RFI : Etes-vous bien arrivé à Tripoli ?
Claude Le Roy : Oui, avec une semaine de retard ! Du coup, nous n’aurons fait qu’un seul entraînement complet avant ce match. Vu les problèmes de visas que nous avons eus, les Belges doivent croire que c’est encore Léopold, le roi du Congo qui dirige le pays. Cette situation est ubuesque et kafkaïenne car les joueurs de Lubumbashi ont obtenu leur visa alors que pour le même déplacement et le même match, les gens de Kinshasa n’ont pas pu l’avoir.
Est-ce qu’il y a bien tous les joueurs que vous aviez convoqués et le staff à vos côtés ?
Oui. Il manque juste Dieumerci Mbokani qui doit arriver dans l’après-midi (jeudi 6 juin).
Finalement, vous avez eu une explication par rapport à ces problèmes de visas qui ont empêché la tenue de la rencontre amicale entre la RDC et la Guinée, samedi dernier dans le Var en France ?
Non. Mais ce que je sais, c’est que c’est une préparation complètement abîmée car nous aurions dû tous nous retrouver en France le 29 mai pour préparer du mieux possible cette rencontre face à la Libye. Hélas, nous avons des scribouillards dans certaines chancelleries qui n’ont aucune idée de ce que représente une équipe de football nationale. Voilà un mois que la Fédération avait tout organisé pour ce déplacement et c’est absolument une honte de voir ce qui s’est passé.
C’est la première fois qu’il y a un match international depuis la chute de Kadhafi en Libye. Quelle est l’ambiance sur place et au sein de votre équipe ?
Pour être honnête, je viens de quitter quelques joueurs et ils sont inquiets à la veille de ce match. Ce sont des jeunes joueurs qui pour certains n’ont vécu qu’en Europe. Et comme ils ont entendu des tirs d’armes automatiques cette nuit et aussi des bruits d’armes lourdes hier pendant l’entraînement, ils sont déstabilisés. D’ailleurs, notre fédération a envoyé une lettre officielle pour protester contre cette tenue du match ici en Libye. L’ambassadeur de la RDC avait demandé à ce que ce match n’ait pas lieu pour des raisons de sécurité. On va essayer de rester concentrer sur cette rencontre mais j’avoue que c’est bien compliqué. Il y a un vieux dicton qui dit que la peur n’évite pas le danger et on va essayer de garder notre calme. Mais c’est vrai que ce sont des conditions très bizarres pour préparer un match de football. Le comportement des Libyens sur le terrain, plus le contexte en dehors, vous imaginez les conditions dans lesquelles va se dérouler le match.
Que retenez-vous du match précédent contre la Lybie. Que va-t-il falloir améliorer dans le jeu pour ne pas être une nouvelle fois mis en échec par une formation supposée plus faible ?
Je ne sais pas s’ils sont plus faibles que nous. C’est une équipe qui a battu le Cameroun et qui est assez truqueuse. La dernière fois à Kinshasa il y a eu 14 minutes d’arrêts de jeu… On va donc essayer de le gagner comme on le fait toujours. De toute façon nous n’avons pas le choix. Pour espérer terminer en tête du groupe il nous faut remporter les deux prochains matches. Tout mon effectif va bien physiquement, le plus dur sera de gérer le côté émotionnel. Heureusement, il y a beaucoup de joueurs à forte personnalité dans cette équipe.
Qu’est-ce que la CAN 2013 vous a apporté pour réussir ces éliminatoires ?
Indéniablement l’expérience ! Elle nous a beaucoup manqué car seulement trois joueurs sur les 23 avaient déjà joué une CAN. Et tout le monde sait que rien ne remplace l’expérience au plus haut niveau. Contrairement à ce qui a pu être dit, nous avons fait une CAN où il y a eu de la qualité à part le match raté contre le Niger. Mais contre le Ghana nous avons fait notre meilleur match. Le haut niveau c’est très difficile et c’est un football qui se construit. Il y a encore beaucoup de chose à faire. Il faudrait que nous puissions travailler dans des conditions normales et pas toujours dans l’urgence comme c’est souvent le cas. Il faudrait que la RDC donne des vrais moyens à la Fédération pour qu’elle puisse travailler sereinement.
On a vraiment l’impression que tout cela tient à un fil alors qu’il s’agit des éliminatoires de la Coupe du Monde. C’est tout de même très gênant pour l’image du football africain. Comment faites-vous pour avoir encore envie de travailler dans des conditions pareilles ?
Je suis revenu en RDC parce que le président Kabila m’a demandé de revenir, mais aussi parce que je pense que la RDC est le plus grand potentiel d’Afrique en termes de football. Il n’y a qu’à voir l’équipe de France, d’où viennent les Mangala, les M’Vila, les Mandanda, Makelele, Imbula ? C’est un pays avec un potentiel incroyable, un immense vivier. C’est à l’image du sous-sol minier congolais, un gâchis économique énorme. C’est pareil pour le foot et ça m’énerve parce que ce n’est pas normal. Vraiment ces joueurs sont pour la plus part du temps très bien élevés, ils sont motivés, et ont reçu une très bonne éducation. C’est tout ça qui me désole. C’est pour ca que j’aime de plus en plus le foot et que je déteste de plus en plus le monde du Football.